L’ANAWIM:

Une Église de pauvres pour les pauvres

Il fait un beau matin de printemps au cœur de la cité. Le forsythia jaune est en pleine floraison et les rouges-gorges font entendre leur présence. Dans ce décor printanier une petite église vient se nicher tout au bord du trottoir. J’y fais mon entrée. Je marche dans le sanctuaire de prière, qui accueillait autrefois qu’une douzaine de personnes.
Je me glisse silencieusement dans un banc, accueilli par des visages amicaux, tout autour de moi. Les prêtres animent les gens dans leurs dévotions envers l’Homme des Douleurs, par l’intercession de sa Mère, Marie. Le rythme et la répétition des prières du chapelet conviennent bien à l’âme. Alors que les gens entrent, jeunes et vieux, plusieurs s’avancent pour allumer un lampion au pied de la statue de Notre Dame faite de plâtre de Paris, est un don d’une autre église.  Nous sommes dans la paroisse Saint-Raphaël de l’Église Vieille Catholique. La figure de la statue de saint Joseph est en belle harmonie avec celle de la sainte Vierge. On est un peu étonné par l’apparat sur des six grands chandeliers qui ornent le Maître-autel qui ont été convertis à l’électricité. À un simple regard, on se rend bien compte de la profusion de fleurs artificielles. C’est une paroisse de pauvres, pour laquelle les chandelles de cire d’abeille et les fleurs naturelles sont un luxe qu’elle ne peut s’accorder.
Le moment est arrivé, dans la sacristie, la cloche sonne : l’Évêque et les prêtres, revêtus de leurs vêtements liturgiques s’avancent. L’hymne pour la procession d’entrée est chanté par tous d’une manière solennelle. C’est suivi par l’aspersion d’eau baptismale et de l’encensement de l’autel et de la communauté rassemblée : tous sont entourés d’un parfum agréable qui embaume également l’église. La proclamation de la Parole de Dieu est suivie d’une homélie partagée avec l’assemblée. Il y a des rires et des commentaires ; des questions sont aussi posées.  Pendant que quelques enfants  pleurent, l’homéliste nous rappelle de devenir comme des petits enfants, en soulignant le jeu de mots que la langue araméenne de Jésus utilise pour enfant (Yalda) dans le processus d’une nouvelle naissance (yalid). Une jeune femme juive répond que les mots sont les mêmes en Hébreu. L’église est remplie d’âmes dévotes… des gens se tiennent même debout à l’entrée du Temple.
Pendant les prières d’intercession et le Canon, l’organiste joue doucement, on se croirait au temps des premières communautés chrétiennes (Colossiens 3:16). Arrive alors le grand moment d’exprimer sa solidarité pendant que le Notre Père est prié séparément en anglais, français, allemand, hébreu, italien, philippin, portugais, espagnol, sri lankais et chanté en latin par l’Évêque. On a la sensation d’être vraiment dans une Maison de Prière pour tous les Peuples. Chacun s’approche de l’autel avec respect,  recevant les Saintes Espèces par intinction  pendant que les bébés et les enfants sont bénis avec le calice. Tous ressentent la puissance des paroles « Corpus Christi » que les prêtres répètent.
Pour terminer, l’Évêque tenant son bâton pastoral d’une main, s’empare du crucifix de l’autre main qui se trouve au dessus du tabernacle, se retourne et bénit la communauté chrétienne. Quelques annonces sont faites pour la semaine et on souhaite une cordiale bienvenue à tous les visiteurs. Le clergé se retire pendant qu’on chante l’hymne final. L’Évêque et des prêtres se tiennent debout dans le portique. L’Agape fraternel est sur le point de commencer. Un serveur remet des pains de blé entier frais à chacune des personnes, qui ont pris part à la Messe. Cela rappelle bien une coutume de la Liturgie Orthodoxe. Cet endroit est vraiment devenu un Bethléem contemporain, la  maison du pain, tout cela rendu possible par la générosité d’un voisin polonais. Les gens démontrent ouvertement leur amour pour leur Évêque et leurs prêtres, en embrassant leurs mains et en les soulevant pour qu’elles touchent leurs fronts. La congrégation continue à se répartir sur le trottoir et dans les rues. Les gens prennent des photos de famille avec leurs prêtres. Les médailles sont bénies. Quelques paroissiens en profitent pour parler de leur projet de mariage ou tout simplement discute du baptême à venir de leur enfant.
Dans le monde d’aujourd’hui une telle église est une anomalie. Remplie à pleine capacité par des gens de tous âges et de toutes conditions humaines. Elle rassemble un congrégation qui regroupe des gens de toute la ville. Ils viennent pour participer aux sept sacrements de l’Église, culminant dans la Fête de la Foi, la Sainte Messe. Les prêtres visitent régulièrement les paroissiens dans leurs maisons, à l’occasion, ils se rassemblent aussi autour de la table du presbytère. De toute évidence, sur bien des points, ils forment une église de pauvres (anawim) sans chorale formée, sans bulletin paroissial, sans photocopieur, sans ordinateur, sans courrier électronique. Ils ne possèdent aucune salle communautaire, aucune école du dimanche, aucun groupe de jeunes, aucun groupe auxiliaire d’hommes ou de femmes.
Ce n’est pas non plus une Église qui peut se permettre des achats selon les modes du temps : ce sont des pauvres. Ils pratiquent leur foi et survivent en tant qu’êtres humains, d’un Jour du Seigneur à l’autre. Ils ont accepté, en tant qu’enfants de Dieu, de se priver de choses luxueuses. La plupart ont un travail, d’autres, des occupations journalières, certains travaillent occasionnellement, d’autres sont à leur retraite, plusieurs sont de nouveaux immigrants ou des réfugiés… certaines personnes sont aussi des blessées de la vie. Leur tâche missionnaire va d’abord aux voisins immédiats, à leur parenté et simplement aux gens des Béatitudes, avec tout ce que cela  implique. Le Fils de l’Homme nous a enseigné que le pauvre et le malheureux (anawim) sont le sacrement de Sa présence parmi nous.
Comment une telle église de pauvres (pour anawim) peut survivre, au milieu de la sophistication qui existe dans notre société de ce début du 21e siècle ? Elle survit grâce à un sentiment d’un besoin collectif. Ces gens (anawim) ont un lien commun avec Celui qui a vécu comme un charpentier ordinaire, toujours sur le bord de la marginalité. Dans un sens ils se reconnaissent en Jésus : ils ont une culture différente, une nationalité différente et une pratique religieuse également différente. Dans la  simplicité de leurs besoins ils ont du se détourner de la plupart des rituels, règles et règlements de la société. Ils sont liés ensemble par le Serviteur Souffrant (Isaïe 53), dont le commandement est : « Aimez vous les uns les autres. » Ils ne parlent pas d’oublier le centre ville, car où iraient-ils ? Entre temps, ils conservent bien vivant pour nous tous l’esprit de renouveau dans la Famille de Dieu d’aujourd’hui.
Mgr. L. M. McFerran, B.A., L.Th., M.A., Ph.D., R.S.W.
Évêque de l’Église Vieille Catholique de la C.B.
1927 – 2007 RIP